vendredi 12 novembre 2010

Une grosse fringale de nanoaliments

Par un chaud après-midi d’été au bord de la mer, rien ne vaut le plaisir simple et rafraîchissant d’une boule de glace au parfum choisi. Est-il possible de se régaler encore davantage ? Vic Morris, professeur en biologie moléculaire, pense que oui, avec l’aide de la nanotechnologie. Morris fait partie d’une équipe qui modifie les aliments pour donner au corps, sans excès diététique, une agréable sensation de satiété longtemps après la dernière bouchée. Une telle crème glacée rassasiante pourrait n’être qu’un début. Les nanoaliments font entrevoir la promesse d’un sel plus sapide, de matières grasses qui font moins grossir et d’une augmentation de la valeur nutritive de nos aliments de tous les jours. Des “nanosuppléments” alimentaires pourraient même combattre la malnutrition dans le monde. Mais qu’est-ce qu’un nanoaliment ? Il ne s’agit pas seulement de denrées dans lesquelles on aurait ajouté des nanoparticules. Nos aliments possèdent naturellement des nanostructures – les protéines de lait forment par exemple des amas nanoscopiques – qui peuvent être remaniées pour renforcer leurs propriétés.

En réalité, cela fait plusieurs années que les chercheurs modifient la nanostructure des aliments, en ajoutant par exemple des émulsifiants pour améliorer la texture des crèmes glacées. Mais l’apparition de technologies comme la microscopie à force atomique [qui permet d’analyser la surface d’un échantillon à l’échelle de l’atome] a ouvert une porte sur le nanomonde. Au lieu d’agir à l’aveuglette, Morris peut maintenant observer de près les minuscules structures sur lesquelles il travaille, comprendre leur comportement et les modifier de façon plus logique et réfléchie.

Ces techniques d’imagerie sont à la base de la nourriture ultrarassasiante que Morris veut mettre au point à l’Institute of Food Research (IFR), à Norwich (Royaume-Uni), et qui pourrait contribuer à lutter contre l’obésité. Beaucoup d’aliments, des crèmes glacées à la sauce hollandaise, sont des émulsions, c’est-à-dire des produits où les lipides sont transformés sous l’action du fouet en gouttelettes enveloppées d’une couche de protéines. On a toujours pensé que les émulsions se désagrégeaient dans l’estomac, mais Morris a découvert que ce n’était pas le cas : certaines conservent leur structure jusqu’à ce que leur enveloppe de protéines soit brisée par les sels biliaires dans l’intestin grêle.

En mettant en réseau les protéines, l’équipe de l’IFR a réussi à renforcer l’enveloppe qu’elles constituent et à retarder la désagrégation des émulsions jusqu’au dernier segment de l’intestin grêle, l’iléon. L’arrivée soudaine de matières grasses aussi loin dans l’intestin grêle déclenche le “frein iléal”, le mécanisme qui donne la sensation de satiété. “Le corps croit qu’on lui a donné beaucoup de lipides, et qu’il est donc repu”, explique Morris. Les chercheurs essaient maintenant d’appliquer cette technique à de la “vraie” nourriture.

Fabriquer des ingrédients sains à partir de rien

Appuyer sur le frein iléal n’est pas la seule façon d’utiliser les émulsions pour nous aider à manger moins gras. Dans les versions “allégées” de nombreuses émulsions alimentaires, environ la moitié des matières grasses sont remplacées par de l’eau, ce qui les rend moins onctueuses et agréables à manger. Une solution consiste à dissimuler cette eau sous la forme de nanogouttes à l’intérieur de chaque goutte d’huile. Nos papilles sentent ainsi moins l’eau et davantage l’onctuosité des matières grasses. Ce principe d’encapsulation a attiré l’attention de l’industrie alimentaire. “Il s’agit d’améliorer la valeur nutritive et la durée de conservation des aliments sans rien changer d’autre, notamment le goût et la texture”, précise Charles- François Gaudefroy, directeur de recherche et développement chez Unilever, un groupe détenteur de nombreuses marques.

“Nous savons que l’industrie alimentaire étudie la possibilité d’encapsuler certaines molécules comme les oméga-3, les vitamines et les minéraux”, explique Frans Kampers, chercheur en bionanotechnologies à l’université de Wageningen (Pays-Bas). De tels nutriments liposolubles sont parfois mal assimilés dans l’environnement aqueux de l’intestin. La nanoencapsulation leur donne une forme plus dispersée et plus facile à assimiler. Elle prolonge également la durée de conservation des aliments, masque les saveurs désagréables et, dans le cas des nanoémulsions, les rend invisibles à l’œil nu, de sorte que l’apparence de l’aliment n’est pas affectée. Cependant, transférer tous ces avantages à des produits concrets se révèle jusqu’à présent compliqué. Stabiliser des nanoémulsions est une chose notoirement difficile, tout comme démontrer leurs bienfaits pour la santé.

Des particules micrométriques de dioxyde de silice et de dioxyde de titane sont utilisées depuis plusieurs décennies comme additifs ; par exemple comme agent blanchissant dans des produits tels que le chewing-gum, et cela sans nocivité apparente. Mais réduire la taille des particules à l’échelle du nanomètre (1 000 fois plus petit que le micromètre) modifie les données : certaines nanoparticules semblent capables de traverser les cellules qui tapissent l’intestin, et pourraient donc se déplacer dans l’organisme. En décembre dernier, une équipe de l’Institut für Umweltmedizinische Forschung (IUF), à Düsseldorf (Allemagne), dirigée par Roel Schins a publié des travaux montrant que certaines nanoparticules, dont celles de silice et de dioxyde de titane, peuvent endommager l’ADN des cellules intestinales de l’homme. Si des questions demeurent sur l’innocuité de certaines nanoparticules, d’autres nanoparticules alimentaires sont essentielles à la santé. Ainsi, une grande partie du fer contenu dans la viande et les végétaux est présente sous forme de ferritine, une protéine d’un diamètre de 12 nanomètres avec un noyau de fer. L’intestin humain est exposé à ces nanoparticules alimentaires depuis des millénaires.

Dora Pereira, du MRC Collabo rative Centre for Human Nutrition Research, à Cambridge, travaille sur un projet dont le but est d’augmenter la quantité de fer que l’organisme peut assimiler en fabriquant des copies de la ferritine. Plus de 30 % de la population mondiale souffre d’anémie, généralement à cause d’une carence en fer, et les compléments alimentaires contenant du fer ne sont pas très efficaces. “Les suppléments actuels sont si différents de ce à quoi nous sommes exposés dans notre régime alimentaire qu’ils ont des effets secondaires ou sont mal assimilés”, explique Mme Pereira.

Pour résoudre ce problème, son équipe a fabriqué des nanoparticules sur le modèle de la ferritine, en enrobant de l’oxyde de fer avec une couche d’éléments naturellement présents dans les aliments, tel l’acide tartrique. Selon Mme Pereira, les tests sur des volontaires carencés en fer sont prometteurs : le nanofer est bien assimilé et a moins d’effets secondaires que les suppléments classiques.

Plutôt que de transformer des molécules pour créer des ingrédients bons pour la santé, on pourrait adopter une approche beaucoup plus flexible : fabriquer des aliments à partir de rien, ou presque. Une équipe de l’université de Wageningen a déjà créé une structure similaire à celle de la viande à partir de protéines de lait. Dans cette expérience, un extrait alimentaire a été utilisé comme point de départ, mais il sera peut-être possible un jour de synthétiser les éléments de base des aliments à l’échelle nanométrique et de les assembler pour fabriquer des aliments artificiels. Pour Kampers, une technique de ce type pourrait aider à nourrir la population de la planète, dont l’effectif s’accroît très rapidement. “Il est impossible de produire les quantités de viande nécessaires, nous devons trouver une autre source de protéines”, assure-t-il.

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